- Rock & Folk n°31, juillet
1969 -
"Qu'est-ce que tu bois, man ?"
John Paul Jones ne sait pas, il sait seulement que c'est bien bon et qu'il
vat en commander un autre. Moi qui ne suit ni anglais ni pop-star, je
sais que c'est du Pernod (Peurnott). Le mouvement est lancé et,
à partir de cet instant, le barman de l'hôtel Westminster
va user ses semelles dans un incessant va-et-vient entre ses bouteilles
et la table derrière laquelle sont vautrés six jeunes gens
extrêmement chevelus, dont les quatre musiciens du Led Zeppelin
et leur road-manager qui, pour être le dernier cité, n'en
est pas moins, et de loin, le premier pour ce qui est de la "descente".
Ils me racontent des choses extrêmement banales, faisant ainsi sans
s'en apercevoir la démonstration du décalage qui existe
bien souvent entre la musique et le verbe de bien des artistes, pop ou
autres. Il ne faut surtout pas leur en vouloir, la parole n'est pas leur
moyen d'expression.
Jimmy Page parle des Yardbirds comme si cela ne l'intéressait pas
: Samwell-Smith et Dreja sont producteurs, Keith Relf et Jim McCarthy
ont fondé un nouveau groupe, "Keith Relf Renaissance",
dont aucun des Zeppelin n'est capable de définir le style autrement
que par des moues significatives. Voilà pour les Yardbirds, fin
d'une époque. Pour ce qui est de savoir pourquoi les trois meilleurs
guitaristes anglais sont passés dans les rangs de cet orchestre,
coïncidence ou autre chose, Page répond : "Clapton a
apporté quelque chose de nouveau, indiscutablement. Ce qu'il faisait
était grand. Quand Beck est arrivé, il a bien été
obligé de faire mieux, pour faire oublier Clapton. Après
Beck, ce fut moi..." Le lecteur complètera de lui-même.
Page s'éveille à peine quand on lui parle de guitare. "Hendrix
? Il a surtout trouvé une sonorité originale. Les guitaristes
de jazz ? Je ne les écoute jamais (à propos de Jazz, Bonham
dit une chose intéressante, à savoir que les batteurs pop
ont tort de vouloir imiter les batteurs de jazz, les beats des deux musiques
étant fondamentalement différents). Aucun guitariste ne
m'a vraiment "assis". Ah ! si, une fois, Bert Jansch. Il est
fabuleux, mais quand je l'ai vu sur scène, j'ai été
un peu déçu. Non, je n'ai jamais entendu un guitariste faire
des choses que je ne pourrais pas faire."
Leurs tournées américaines furent formidables, mais ils
sont un peu amer de constater qu'ils ont dû d'abord se faire un
nom là-bas avant d'être acceptés dans leur propre
pays. Pays où ils ont noté un inquiétant retour de
ceux que l'on appelait jadis "teddy boy"s et qui, aujourd'hui,
sous le qualificatif de "mods" (crânes rasés, cuir
noir, bottes, Angels de pacotille), s'amusent à interrompre les
concerts des groupes qui ne leur plaisent pas (Fleetwood Mac en a fait
l'amère expérience en recevant quelques bouteilles de bière
lors d'un free concert). A part cela, ça marche bien pour eux,
merci, un autre Peurnott.
Ils devaient jouer à la soirée Barclay, mais, pour une obscure
histoire de camion plein de matériel égaré, cela
ne se fit pas. Dommage. Led Zeppelin laissera tout de même à
certains Parisiens un souvenir impérissable. Tels Attila et ses
Huns, Jimmy Page et ses hommes, plein à ras-bord de Peurnott, dévastèrent
tour à tour un studio télévision, deux ou trois bistrots
et, pour finir en apothéose, le Pop-Club (au grand dam de José
Arthur, dont la traditionnelle ironie glissa sur nos Anglais comme l'eau
sur les plumes d'un canard). Puis ils s'en allèrent boeuffer quelque
peu au Rock And Roll Circus. Tout cela était bien dans la tradition.
Philippe PARINGAUX
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