Eddie
Kramer, ingénieur du son sur Led Zeppelin II
Interview parue dans "Guitare
& Claviers" (n° 148, janvier 1994)
Comment as-tu été contacté pour
"Led Zeppelin II"?
J'ai rencontré Page pour la première fois aux studios Pye alors
que je travaillais sur des sessions des Kinks. Page avait acquis une certaine
réputation en tant que guitariste de studio. J'ai aussi bossé avec John
Paul Jones sur quelques sessions, et nous nous sommes liés d'amitié. Jones
était un musicien brillant. Il écrivait des arrangements pour les orchestres
à cordes et savait extrèmement bien jouer d'un tas d'instrument.
Avant que je ne quitte l'Angleterre pour aller travailler avec Jimi Hendrix
au studio Record Plant à New York, en avril 68, Jonesy m'avait emmené
chez lui pour me faire écouter des démos de son nouveau groupe, Led Zeppelin.
Je me souviens que ça sonnait très heavy, et j'étais surpris que Jimmy
Page soit à la guitare car je ne savais pas qu'ils étaient amis. Jonesy
était très fier de John Bonham, un ancien maçon du nord de l'Angleterre
qui tapait fort sur sa batterie, ainsi que de leur chanteur sauvage, Robert
Plant. Tandis que je ne croyais pas tellement au nom qu'ils avaient choisi,
je lui souhaitais bonne chance.
Puis en 69, je travaillais aux studios Electric Lady lorsque je reçus
un coup de fil de Steve Weiss, le bras droit de Jimi, disant que Led Zeppelin
était en ville. Page appela ensuite pour me dire qu'il désirait que je
l'aide à sortir ce qu'ils avaient enregistré et à faire quelques morceaux
de plus.
Led Zeppelin avait été un grand succès pour Atlantic et il pressait Jimmy
à terminer le second album. Le planning de leur journée, cependant, n'était
pas très arrangeant. Alors on a fini par écouter, doubler, enregistrer
et mixer dans un tas de studios différents aux alentours de New York,
Groove Sound inclus, un chouette studio R&B huit-pistes.
Que penses-tu de Page en tant que
producteur?
Jimmy était un excellent producteur et j'avais le sentiment que
l'on se complétait parfaitement. Il avait une idée très précise de ce
qu'il voulait capturer sur la bande. Il était très exigeant, mais, en
même temps, tout à fait ouvert aux suggestions.
Le plus grand avantage de Jimmy était qu'il savait comment tirer le meilleur
parti du groupe. Bonham était carrément incroyable, et c'était un super
défi que de pouvoir capturer la puissance de son jeu sur bande. Jimmy
devait parfois expliquer les rythmes les plus complexes à Bonzo, mais
une fois qu'il les avait pigé, Bonham ne faisait quasiment jamais d'erreur.
Robert était un parfait faire-valoir pour Pagey - presque de la même façon
que Lennon l'était pour McCartney. Les contributions de John Paul Jones
était d'une nature inhabituelle. Il était un excellent musicien, et ses
arrangements reflétaient ses vastes connaissances musicales.
Quelles sessions te restent le
plus à l'esprit?
Whole Lotta Love. Ce morceau est né au moment du mixage.
Nous avions en effet mixé l'album tout entier en un seul week-end, se
servant d'une vieille console Altec 12 entrées/2 sorties, ayant uniquement
deux potars de panoramique. Lorsque Jimmy et moi étions en train de mixer
Whole Lotta Love, on a bousillé la console en tripotant tous
les boutons qu'on pouvait. Alors qu'elle aurait pu limiter notre champ
d'action, on s'est débrouillés pour surpasser ses limites et créer un
mixage efficace.
Etant donné l'énorme succès de
"Led Zeppelin II", pourquoi ne t'ont-ils pas demandé de travailler
sur le suivant?
Ils l'ont fait. A cette époque (1970, NDR), j'étais ingénieur
en chef aux studios Electric Lady d'Hendrix. Ayant activement participé
au design et à la construction de ces studios, j'étais en droit d'être
fier des installations. Et lors d'une session de Zeppelin, un de leurs
roadies a renversé de la nourriture indienne sur un tapis tout neuf de
la salle de contrôle. Quand il refusa de me nettoyer ça, le ton est vite
monté. Le groupe se rangea du côté du roadie et s'offensa de mon dégoût.
Superstars capricieuses qu'ils étaient alors, ils ont quitté le studio
et l'on ne s'est pas revus avant un bon bout de temps. Puis, comme si
rien ne s'était passé, Jimmy m'a appelé pour bosser sur "Houses Of
The Holy".
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